Le 6 décembre 1989, c’est la fin de la session à l’université, j’étudie au baccalauréat en littérature, j’ai 22 ans. Je regarde le téléjournal à l’heure du souper et j’apprends qu’il y a eu une tuerie à l’École polytechnique (le mot féminicide n’existe pas encore). Le lendemain, sur son lit d’hôpital, je vois Nathalie Provost, survivante du massacre, répondre aux journalistes qu’elle n’est pas féministe. Et je suis d’accord avec elle. Moi non plus, je ne suis pas féministe. Je n’ai pas encore remarqué que ce sont très majoritairement des hommes qui m’enseignent depuis le collégial. Je n’ai pas encore réalisé que les « grandes » œuvres littéraires qu’on me fait lire ne sont écrites que par des auteurs et jamais par des autrices. Je ne sais pas encore que ma bulle d’étudiante va bientôt éclater au contact du monde du travail, de la maternité, du syndicalisme.
En octobre 2017, je suis secrétaire générale et trésorière de la FNEEQ, je commence ma sixième année de militance au sein de la fédération. Le mot-clic #MoiAussi vient de faire son apparition sur les réseaux sociaux. Je lis, avec un mélange de colère et d’impuissance, les récits des violences faites à mes amies, à mes collègues, aux femmes d’ici, aux femmes d’ailleurs. Dans un colloque auquel je participe, j’écoute Pascale Navarro parler de son essai Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Elle parle de pouvoir, de changements, de mixité égalitaire en politique, des quotas à imposer pour y arriver. Elle déplore la sous-représentation des femmes, la difficulté de leur recrutement. Je suis d’accord avec elle. Sur toute la ligne. Je ne sais pas encore que son discours sera déterminant dans ma décision de poser ma candidature à la présidence de la fédération.
Le 21 février 2023, le gouvernement caquiste rejette la motion du Collectif 8 mars qui propose d’intégrer aux décisions gouvernementales l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle. Quoi? Même pas débattue? Même pas un peu d’accord avec le principe? Un parti politique au pouvoir qui méprise aussi ouvertement les luttes féministes actuelles et qui continue à faire croire que « ça va bien aller » est un parti sans substance, sans âme, sans valeur. Je ne sais pas encore ce que l’avenir nous réserve, mais je suis convaincue de la nécessité de nous unir aujourd’hui, 8 mars, et tous les jours qui suivront.
Caroline Quesnel
Présidente FNEEQ-CSN