Comme je l’ai fait à l’antenne de CKIA le 28 février dernier, je me permets de vous partager deux grands sommets du 8 mars de cette année : le thème, et ce qu’il a incarné à l’Assemblée nationale le 21 février 2023.
D’abord, le thème, que j’affectionne particulièrement, sans manquer de déplorer qu’il soit encore à ce point pertinent : Résistances féministes !
Ce thème, adopté par le Collectif 8 mars, dénonce, je cite : ‘’Le silence devant toutes les violences et les inégalités persistantes’’ et appelle à agir pour l’édification d’un monde solidaire.
« Résistances féministes » est pluriel : il célèbre nos victoires passées (pensons à nos aïeules pas si lointaines qui n’avaient ni le droit de vote ni celui de posséder leur propre compte bancaire, notamment); notre persévérance dans nos luttes (partout dans le monde, nous sommes des millions à nous mobiliser et à faire une différence dans le présent et le quotidien de celles qui viendront demain); tout en nous rappelant la fragilité de nos acquis (pensons aux dizaines de millions de femmes soudainement privées ou fortement contraintes dans leur droit à l’avortement aux États-Unis, un recul de 40 ans!); et toute cette équité, parfois minimale, qu’il nous reste encore à conquérir (il suffit d’avoir une pensée pour les femmes marginalisées, monoparentales, trans, lesbiennes, en situation de handicap, racisées et j’en passe, ici et ailleurs dans le monde où parfois, comme en Afghanistan ou en Iran, le seul fait d’être femme est synonyme de liberticide).
Ce slogan combatif nous rappelle, cela dit, que notre propre cour n’est pas si verte : regardez les conditions de travail et salariales des professions majoritairement occupées par des femmes, les violences sexuelles et conjugales, les records de féminicides, le cyberharcèlement et la cyberintimidation, le manque de places dans les garderies et services de garde au détriment de la carrière – voire de l’autonomie financière – des femmes, et disons-le, l’accès souvent laborieux aux services abortifs comme à ceux d’obstétrique et de gynécologie (pour ne nommer que ces obstacles).
J’ai d’ailleurs relevé que cette année, les activités entourant le 8 mars s’inscrivent très majoritairement dans la non-mixité inclusive : parce que nous avons besoin, face à toutes ces violences, ces reculs potentiels ou réels, de nous retrouver entre femmes et personnes qui s’identifient comme telles.
Ce qui m’amène à mon second sommet : le Salon bleu, berceau de la démocratie québécoise.
L’actualité s’est chargée de vous rappeler un terme qui vous est peut-être, ou peut-être pas, familier : l’intersectionnalité. Pour vous en faire une idée, je vous renvoie à l’excellent texte rédigé par ma collègue Marta Teixeira, qui l’explique avec clarté : Quelques repères sur la notion d’intersectionnalité : par Marta Teixeira.
En effet, le 21 février 2023, dans notre bleu salon, c’est la notion même de l’intersectionnalité et de son éventuelle mise en œuvre (l’Analyse Différenciée selon les Sexes – ADS+), qui a fait reculer notre gouvernement provincial.
Pour l’anecdote, j’étais sur les lieux avec le Collectif 8 mars afin de déposer, de concert avec tous les partis de l’opposition, cette fameuse motion visant, notamment, à encourager une analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle afin de défendre les droits de toutes les femmes au Québec.
D’ores et déjà, il est important de rappeler ce beau moment de solidarité, quand les syndicats, les associations et les partis politiques se sont élevés au-dessus de leur partisanerie pour le bien commun. Nous étions en effet optimistes lorsque nous avons fait la connaissance, Mélanie Pelletier (2e vice-présidente du CCQCA-CSN) et moi, des autres représentantes du Collectif 8 mars, puis des députées et personnes mandatées par les partis d’opposition qui nous accompagnaient lors des discussions préalables à la conférence de presse. Il ne manquait, en effet, que Martine Biron de la Coalition Avenir Québec.
Je serai franche : nous avions eu vent des réticences de la CAQ, mais nous demeurions confiantes : après tout, la motion visant à souligner le 8 mars passe d’année en année ; c’est un moment d’unité, là où comme peuple, on réaffirme nos valeurs d’équité. La motion n’a évidemment pas le même verbatim d’une année à l’autre, mais dans l’ensemble, elle rassemble.
Malheureusement, notre enthousiasme est mort, comme la motion, au feuilleton, car la CAQ s’y est opposée. Elle a refusé d’encourager (pas d’exiger ni d’imposer, simplement d’encourager), l’ADS+, c’est‑à‑dire l’Analyse Différenciée selon les Sexes, dans une perspective intersectionnelle.
Pourtant, l’ADS+ existe depuis longtemps, elle est déjà utilisée au fédéral et ailleurs, nous avons les outils pour le faire au Québec, mais en dépit de tous ces arguments et de d’autres encore, notre gouvernement a exclu la possibilité même d’en discuter.
Pour quelles raisons? Plusieurs hypothèses ont été émises, mais que l’on en adopte une ou une autre ou aucune, un constat demeure : le gouvernement a refusé même d’en débattre. Oui, d’en débattre. C’est cela, le 21 février dernier, qu’on nous a refusé : le débat, alors que l’on se dit en démocratie.
Heureusement, nous ne perdons pas notre nécessaire persévérance : le Collectif 8 mars a répondu en réaffirmant son slogan de résistance et la députée de Québec solidaire, Ruba Ghazal, entend déposer un nouveau projet de loi sous peu dans l’espoir de faire avancer les choses.
Comme quoi, nos victoires, qui ne sont décidément jamais acquises, inspirent dans leur sillage une admirable solidarité.
Bon 8 mars!
Élisabeth Cyr
Vice-présidente à la vie syndicale et à la mobilisation
Élisabeth Cyr est chargée de cours à l’École des langues, ancienne agente des relations du travail du SCCCUL et vice-présidence à la vie syndicale et à la mobilisation du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval.
RÉFÉRENCES :
8 mars 2023 : Résistances féministes !
Quelques repères sur la notion d’intersectionnalité : par Marta Teixeira