À la suite de la publication du Projet de création du Conseil des universités du Québec et de la commission mixte de l’enseignement supérieur de la ministre Hélène David, la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ) a convoqué ses syndicats membres pour une réunion extraordinaire du Conseil fédéral les 6 et 7 octobre derniers. Les mandats de cette assemblée étaient nombreux : étudier le projet proposé pour le Conseil des universités du Québec et du Conseil des collèges du Québec, s’interroger sur la légitimité de créer une Commission mixte de l’enseignement supérieur regroupant des membres des universités et des cégeps, puis proposer des orientations et des recommandations pour la rédaction d’un mémoire CSN regroupant les avis des trois fédérations concernées par l’enseignement supérieur (FP, FEESP, FNEEQ). Enfin, il nous fallait élaborer un plan d’action national pour faire largement connaître les positions et les résolutions discutées et adoptées lors de cette réunion fédérale extraordinaire.
Il ne faut pas se cacher qu’à travers la mise en place de ce nouvel organisme national, c’est de l’avenir de l’enseignement supérieur québécois dont il est question, et ce, pour les dix prochaines années, voire plus.
Le projet de loi qui va émerger des consultations demandées par la ministre David devrait être soumis à la Chambre des députés au cours de l’hiver. C’est à ce moment que le travail de consultation de la Commission parlementaire responsable de l’enseignement supérieur pourra commencer. Or, nous savons, par expérience, qu’il vaut mieux amender un projet comme celui qui nous est proposé avant qu’il ne devienne un projet de loi formel, porté par la Commission parlementaire. À ce stade, les modifications sont extrêmement difficiles à obtenir.
Au SCCCUL, nous avons pris très au sérieux l’annonce de la création de ce nouvel organisme qui doit chapeauter l’enseignement supérieur québécois. Nous avons donc constitué une délégation qui s’est réunie deux fois pour préparer cette réunion extraordinaire du Conseil fédéral. Cela nous a permis de participer activement aux discussions et d’intervenir pour enrichir le débat général. (Voir les recommandations adoptées lors de ce débat dans la section « Dossier » de la présente édition). Les discussions ont été intenses, et tous ceux qui étaient présents ont déploré le peu de temps alloué par la ministre pour nous approprier ses propositions et en discuter. Si le délai imparti avait été plus long, nous aurions pu effectuer une analyse approfondie et débattre de cette question avec les membres du SCCCUL afin de recueillir leur avis et produire, au besoin, des contre-propositions et un mémoire personnalisé. À la lumière des recommandations adoptées, vos questions et vos commentaires seront les bienvenus (écrire à scccul@scccul.ulaval.ca). Une fois le mémoire CSN publié, nous aurons jusqu’à la fin des séances de la Commission parlementaire pour nous mobiliser et faire valoir notre vision de l’université et ce que nous voulons pour le développement du Québec de demain.
Comme enseignants universitaires contractuels, nous sommes très sensibles aux questions touchant à la gestion collégiale, à la qualité des conditions d’enseignement et d’encadrement de nos étudiants, autant de sujets qu’aborde le projet de la ministre David. Même si nos dirigeants peinent à admettre les conséquences néfastes des coupes budgétaires successives subies en enseignement supérieur, nous, les chargées et chargés de cours qui sommes au front, sur la première ligne, nous pouvons témoigner d’un certain recul des exigences pédagogiques et académiques causé, entre autres, par l’augmentation sensible de la taille des groupes, la disparition de cours optionnels, voire de certains cours obligatoires, etc. Les décisions à l’origine de ce problème ont été prises pour des raisons essentiellement économiques. Nous le savons, la charge de travail générale des enseignants, permanents et contractuels, s’alourdit considérablement puisqu’elle est répartie entre beaucoup moins de personnes. Par ailleurs, certains de nos membres contractuels ont perdu leur emploi, même après de longs et loyaux services de plusieurs décennies consacrées à leur université. Nombre de nos collègues chargés d’enseignement ont vu et voient le pourcentage de leurs tâches diminuer, donc leur salaire, alors que leurs activités réelles demeurent les mêmes, voire augmentent. Cette situation est particulièrement dramatique pour ceux qui s’approchent de la retraite et qui comptaient sur leurs dernières années de travail, généralement les meilleures dans n’importe quel emploi de la fonction publique ou assimilée, pour stabiliser leur futur revenu de retraite. Nous savons aussi que nos collègues professeurs subissent aussi cette augmentation de la charge de travail, peut-être au détriment de leur santé ou de leur vie familiale, mais sans avoir à subir aucune modification de salaire. Il y a là un problème d’éthique fondamental en ce qui concerne le respect des employés, pour lesquels notre université n’a pas encore voulu assumer sa responsabilité d’employeur, comme le devrait un établissement d’enseignement aux valeurs humanistes et adepte du développement durable (DD). Il semble d’ailleurs que la condition des chargés et chargées de cours ne soit pas encore entrée dans la vision DD de notre institution.
Toutes ces raisons nous poussent à nous engager dans le processus de concertation relatif à la création du Conseil des universités du Québec. Nous voulons avoir notre place, toute notre place dans l’organisation et le fonctionnement de cet organisme. Nous donnons plus de la moitié des cours de premier cycle au Québec. Nous contribuons largement à l’excellence des diplômes qu’obtiennent nos étudiants. Nous voulons préserver la qualité et l’amélioration constante de l’enseignement universitaire en nous appuyant sur de saines pratiques d’évaluation des programmes et de l’enseignement. Mais nous refusons fermement toutes tentatives visant à introduire des mécanismes « d’assurance-qualité », ces derniers ayant pour objectif prioritaire l’adaptation de l’enseignement aux besoins du marché. On a noté maintes fois les conséquences désastreuses de la standardisation des contenus pédagogiques, qui oblige à se conformer à une approche utilitariste de l’enseignement exigée notamment par les entreprises privées donatrices de subventions ou par les ordres professionnels qui leur sont inféodés. À l’opposé, la liberté académique que nous préconisons nous permet, comme enseignants universitaires, de rechercher les meilleurs moyens pour permettre à nos étudiants de devenir des citoyens responsables, informés, créatifs, dotés d’excellents outils d’analyse critique, en plus d’acquérir une formation professionnalisante. La formation qu’ils acquièrent leur permet ainsi de répondre aux grands défis sociaux, économiques et environnementaux auxquels notre monde est confronté.
Nous ne voulons pas que le nouvel organisme public mis au service de l’enseignement supérieur favorise l’intensification de la concurrence entre les établissements universitaires, la course à la « clientèle étrangère » et la marchandisation de l’enseignement, qui n’ont rien à voir avec les échanges stimulants entre enseignants, chercheurs et étudiants de diverses universités canadiennes ou étrangères, échanges qui ont fait leur preuve. La concurrence conduit nos universités à adopter une gestion de type managérial calquée sur les secteurs industriel et financier privés ainsi qu’à un alourdissement des activités bureaucratiques, désormais démultipliées par le nombre de redditions de compte exigées, qui se font souvent au détriment des moyens que l’on doit consacrer à la qualité de l’enseignement. Au lieu de mettre l’argent dans l’enseignement, on l’utilise pour des activités administratives. Ce type de gestion attise une rivalité stérile entre les établissements, obsédés par leur classement dans les palmarès internationaux, qui les oblige à investir des sommes importantes dans diverses publicités afin d’accroitre leur visibilité à l’échelle internationale.
Pour nous, le Conseil des universités du Québec doit favoriser l’accessibilité pour tous aux études postsecondaires, voire la gratuité progressive des études comme le recommandait le rapport Parent en 1964. Il doit favoriser l’autonomie institutionnelle, la liberté académique, une gestion collégiale des institutions universitaires, une saine collaboration entre les établissements et promouvoir la conception de l’université comme service public.
Nous voulons que la composition de ce futur Conseil des universités du Québec représente équitablement et majoritairement toute la communauté universitaire, avec des représentants désignés par leurs pairs au moyen de processus démocratiques. Devront y siéger des représentants des enseignants, des étudiants, des professionnels de recherche, du personnel de soutien, des cadres administratifs, ainsi que des membres des exécutifs universitaires (recteurs et vice-recteurs). Pourraient également s’ajouter des personnes provenant de la société civile et des milieux culturels et communautaires, recommandées par les associations et les organisations les plus représentatives. Et enfin, des représentants du gouvernement. La parité homme-femme devrait aussi être considérée.
Faire valoir ces idéaux requiert beaucoup de conviction et d’engagement militant de la part de tous les membres de la communauté universitaire, particulièrement de nous, enseignants contractuels, qui avons plus à gagner avec une participation active dans ce Conseil des universités, alors que l’absence de participation peut nous faire perdre beaucoup. Cette mobilisation peut donner un sens et un cadre éthique aux revendications que nous aurons à défendre dès la session prochaine à la table de négociation. Il faut assurer une cohérence entre nos demandes visant l’amélioration de nos conditions d’enseignement et notre vision de l’Université humaniste de demain. Le défi est d’importance, et nous devrons être nombreuses et nombreux à le faire valoir et à le défendre au sein même de notre communauté universitaire.
Puma Freytag
Président
(1) Fédération des professionèles (FP), Fédération des employées et employés de services publics (FEESP), Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ).