*Les États généraux sur l’enseignement et la recherche (ÉGER) sont une initiative portée par les membres du Regroupement des associations et des syndicats de l’Université Laval (RASUL)
Je présente ici un bilan « impressionniste » des consultations que nous avons tenues auprès de nos membres (quelque 50 répondants dans une consultation en ligne et un midi réflexion) et avec nos instances (conseil syndical et assemblées d’unités des derniers mois). C’est donc la réflexion collective d’une centaine de personnes chargées de cours que je vous présente.
Je le rappelle, les personnes chargées de cours, grosso modo et année après année, assurent près de la moitié de l’enseignement de premier cycle. C’est donc principalement, mais pas seulement, à propos de l’enseignement que se sont concentrées les observations que je vais tenter de synthétiser aujourd’hui.
Deux ans sous le signe de la technologie
Depuis deux ans, nous apprenons à médiatiser nos interventions avec nos étudiants grâce à de nouveaux outils. C’est donc autour des outils, de leurs avantages et de leurs limites, que je vais organiser ma présentation.
Les avantages : souplesse et flexibilité
Ce que des outils comme Zoom ou Teams permettent de faire, c’est-à-dire des rencontres à distance, a été grandement apprécié par l’ensemble des personnes chargées de cours qui se sont exprimés (oui, je sais, il y a sûrement un biais méthodologique puisque nos consultations se sont faites essentiellement par le biais d’outils numériques). Que ce soit pour rencontrer des étudiants, pour participer à des réunions de différentes instances, assister à des conférences ou encore pour les réunions de travail et échanger avec les collègues, les personnes chargées de cours ont apprivoisé et, on peut le dire, adopté les nouveaux outils.
On l’a d’ailleurs observé pendant les différentes « itérations » des mesures sanitaires, dans nos instances, la participation a augmenté. Et elle a été la plus grande dans les formules « hybrides » : en présence et à distance.
Je vais me permettre d’insister sur ce point, comme cela touche directement l’enseignement : il faut garder cette nouvelle manière de rencontrer les étudiants en dehors des heures de cours. Il serait donc important de toujours s’assurer que, peu importe le mode d’enseignement, une plate-forme, standard pour toute l’Université, soit disponible pour des rencontres virtuelles.
Dans la mesure où plusieurs personnes chargées de cours n’ont pas de bureau à l’Université, ces nouveaux outils sont un gain net pour notre enseignement quand on le compare avec la situation prépandémie. Et même pour ceux qui ont un bureau, il est souvent plus facile, pour des raisons de disponibilité des étudiants, d’organiser une rencontre virtuelle.
Il faut cependant apporter un bémol sur les rencontres virtuelles : la communication à distance est beaucoup plus facile quand on a déjà établi une relation en personne.
Cela nous amène aux limites :
La première limite à souligner, en ce moment, c’est la capacité de tous à pouvoir continuer au même rythme que les deux dernières années. Les ressources en agilité et en flexibilité ont atteint leurs limites. En espérant que, comme on semble encore le prévoir, les choses reviennent « 100% » normales en septembre prochain. Les personnes chargées de cours ne sont pas spéciaux en ce sens, les signes d’épuisement professionnel et de détresse psychologique sont assez généralisés en ce moment. Ils se manifestent aussi chez les étudiants et plusieurs personnes chargées de cours nous ont fait part de leur inquiétude à leur égard.
Peu importe comment l’avenir adviendra, avec ou sans renouvellement de mesures sanitaires, il faut absolument que tous les membres de la communauté universitaire, personnel et étudiants, se sentent soutenus par leur Université, que les ressources humaines et l’administration des études ne soient plus perçues, à tort ou à raison, comme des gendarmes. Que chacun des membres du personnel et chacune des personnes étudiantes se sentent accompagnés plutôt que surveillés.
La meilleure arme que nous avons contre l’anxiété, c’est la confiance. Il faut que l’on puisse avoir confiance dans notre institution. Car sans cette confiance, j’ai bien peur que la « bienveillance » de l’administration ne passe inaperçue.
Cette situation de précarité psychologique est en partie explicable par la surcharge de travail qu’a entraîné l’adaptation des cours et leur prestation en mode « médiatisé ». Cette surcharge a pu prendre plusieurs formes, pas toujours les mêmes pour tous, mais pour tous une forme ou une autre d’augmentation de la charge de travail.
Il y a eu beaucoup de formations offertes par l’Université pour l’adaptation des cours, ce qui est bien. Cependant, comme celles-ci n’étaient pas, au sens strict, obligatoires, elles n’ont pas souvent été rémunérées. Plusieurs personnes chargées de cours déplorent que des formations qui leur ont pourtant été nécessaires pour s’acquitter de leur tâche aient été du bénévolat. Si on continue à exiger des enseignants qu’ils maîtrisent de nouveaux outils, il faudra remédier à ce problème qui est un irritant majeur. Je ne peux m’empêcher de trouver étrange que dans une institution d’enseignement on n’encourage pas davantage la formation continue du personnel…
Un autre élément qui a souvent été souligné est la « disponibilité instantanée », pour reprendre l’expression d’une des personnes répondantes. Comme plusieurs l’on remarqué, il y a une attente, légitime, de la part des étudiants qui est d’avoir rapidement une réponse ou une rétroaction quand ils communiquent avec leurs enseignants. Il y a donc une exigence, pour les enseignants, d’être toujours plus ou moins « de garde », y compris les soirs et les fins de semaine. J’ai dit « légitime » à propos de l’attente des étudiants, puisque les personnes chargées de cours l’ont remarqué : pour qu’un cours médiatisé fonctionne, il faut s’en donner les moyens. Et pour que les étudiants participent et s’engagent dans un cours médiatisé, il faut que les réponses aux courriels et les interventions sur les forums arrivent vite. Il est donc légitime pour un étudiant de s’attendre à une intervention efficace de la part de son enseignant.
Et il est tout aussi légitime, pour les enseignants, de s’attendre à ce que leur employeur reconnaisse que la charge de travail augmente, particulièrement entre deux prestations de cours. Là-dessus, ce qu’on observe depuis une vingtaine d’années, avec les courriels (et en général une hausse des communications entre les cours), est vraiment passé à un autre niveau. Si on ajoute une culture numérique qui fait la promotion de l’instantanéité, du « just in time » et du « à la demande »… On est loin de la situation des années 90, où on donnait un cours de 3 heures et on n’était pas vraiment en contact avec les étudiants jusqu’au prochain cours, la semaine suivante.
Comme dernière grande limite des nouveaux outils technologiques, un de leurs effets négatifs quand ils sont trop utilisés, à peu près tout le monde l’a noté, que ce soit pour les personnes étudiantes ou enseignantes, c’est l’isolement. Lui aussi facteur d’anxiété. Les personnes chargées de cours se sont souvent senties isolées. Leur place dans l’institution universitaire est par nature toujours plus ou moins précaire. Souvent elles n’ont pas de bureau, elles ont des contrats à durée déterminée, elles sont peu représentées dans les instances décisionnelles de l’université. Bref, avec les deux dernières années que nous avons eues, ce sentiment d’isolement, déjà présent prépandémie, n’a fait que s’accentuer.
En conclusion, il y a vraiment 3 choses qui traversent l’ensemble des réflexions des personnes chargées de cours :
- Un cours médiatisé peut parfois être aussi bon qu’un cours en présentiel, mais pour y arriver, ça prend plus de ressources (humaines et technologiques); nos conditions de travail ne sont pas adaptées à ces nouveaux modes d’enseignement et ce nouveau contexte.
- C’est aux enseignants de définir quel est le meilleur moyen de remplir leur mission et ce, en fonction de critères pédagogiques qui tiennent notamment compte : de la place du cours dans le programme, du type de matière et des étudiants (autant leur nombre que leur profil). Il faut à tout prix éviter toute forme d’approche mur-à-mur, mais plutôt miser sur le jugement et l’autonomie professionnelle des enseignants.
- Le comodal est à proscrire, c’est « le pire des deux mondes ».
Pour l’avenir, il faut donc s’assurer de deux choses importantes :
- Que les conditions d’enseignement tiennent compte de la surcharge de travail. Toute chose étant égale par ailleurs, la prestation d’un cours « médiatisé » demande plus de travail si l’on veut arriver au même résultat, que le cours soit virtuel synchrone, hybride, en distanciel, en non-présentiel, en comodal, en ligne ou en « accommodal ».
Si on veut préserver la qualité de l’enseignement et ne pas épuiser nos enseignants, il faut leur donner les moyens de réussir :
– du temps, idéalement rémunéré, pour se former et développer du matériel, et
– des ressources technopédagogiques.
- Il faut développer une véritable culture d’inclusion à l’université, que tous les membres de la communauté sentent qu’ils appartiennent à la communauté, qu’ils sont considérés et reconnus, il en va de la santé organisationnelle de notre université, il en va de la santé psychologique de ses membres.
Louis Émond
Président