L’intelligence artificielle dans l’enseignement : un outil ou une menace ?

Le débat sur le recours à l’intelligence artificielle en enseignement s’est invité à l’Université Laval le 12 novembre dernier. Organisé par la Chaire publique AÉLIES, on comptait, parmi les panélistes, la Vice-rectrice aux ressources humaines (qui est aussi Directrice de l’Observatoire de gouvernance des technologies de l’information).

Assurément, l’Université Laval souhaite intégrer rapidement ces technologies dans l’enseignement. Pour Lyne Bouchard, l’intelligence artificielle transformera le rôle de l’enseignant puisqu’elle pourra remplacer les personnes dans la réalisation des tâches les plus répétitives (ex. répétitions des contenus de cours, exercices d’apprentissage en ligne, corrections automatisées). Dans ce nouveau contexte, l’enseignant sera davantage amené à jouer un rôle de « coach » personnalisé, en fonction du niveau d’apprentissage atteint par chaque étudiante ou étudiant.

L’Université Laval assure que la qualité de l’enseignement sera au rendez-vous. On allègue que la formation sera enrichie par l’automatisation de certaines tâches, entre autres parce que la machine « ne se fatigue jamais ». En finance par exemple, Lyne Bouchard évoque que les étudiantes et étudiants pourront travailler sur des milliers de scénarios possibles en bourse.

Malgré un discours de la Vice-rectrice qui se voulait « positif » pour l’avenir des personnes chargées de cours à l’Université, nos préoccupations grandissent.

Car l’intelligence artificielle, vue comme une technologie d’automatisation du travail intellectuel, combinée à la méthode Lean, un système d’organisation du travail visant la réduction des tâches et la standardisation, pourraient entraîner d’importantes pertes d’emploi pour le personnel non permanent, tel que l’avance Frédérick Plamondon, l’un des panélistes : « La formation à distance, de plus en plus offerte par les universités, va diminuer le nombre de chargés de cours ou réduire les revenus de ceux qui restent, car une partie des tâches sera assumée par l’intelligence artificielle». Selon Lyne Bouchard, en raison de ces nouvelles technologies, « les employeurs doivent tout de suite analyser les postes qui seront abolis ou modifiés afin de pouvoir repositionner les gens ».

Le 22 novembre dernier, les chargés et chargées de cours ont réfléchi à ces questions relatives au recours intensif aux technologies numériques et à la transformation des apprentissages que cela impose. Le problème n’est certainement pas d’avoir recours à de telles technologies numériques dans l’enseignement; il repose plutôt sur la manière dont ces technologies seront mises en place par l’employeur et les impacts que celles-ci pourront avoir sur nos conditions de travail et notre lien d’emploi.

En effet, si le numérique offre de nouvelles pistes stimulantes et pertinentes pour la formation des étudiantes et étudiants, ces transformations ne doivent pas se faire au prix d’une déshumanisation du travail enseignant, d’une restriction de l’autonomie professionnelle des chargées et chargés de cours, d’une standardisation et d’une diminution de l’offre de cours à l’échelle du Québec. Elles ne doivent pas non plus se faire au prix de conditions de travail plus difficiles et moins intéressantes.

Par ailleurs, avec les nominations récentes de Youri Chassin et de Martin Maltais au Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, il est difficile de ne pas voir l’accroissement exponentiel du numérique dans l’enseignement comme une menace. L’un est en faveur de l’ultra-libéralisme et de la réduction de l’État, tandis que l’autre est assez ouvertement anti-chargés de cours.

Des questions se posent : comment et dans quels buts l’intelligence artificielle sera-t-elle utilisée dans l’enseignement? Contribuera-t-elle à diversifier les méthodes d’enseignement et à améliorer la pédagogie ou s’en servira-t-on pour automatiser davantage les tâches en créant, ce faisant, une distance encore plus grande entre l’enseignant et l’étudiant? À quoi se réduira le travail d’enseignant? Quelle place et quel rôle aurons-nous – nous laissera-t-on – en tant que chargée et chargé de cours dans cette transformation majeure de l’enseignement supérieur? Devant ce portrait anticipé, nous sommes bien peu rassurés et des réponses à nos questions s’imposent.

Christine Gauthier
Présidente

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