Liberté académique, liberté d’expression : une utopie pour les chargé.e.s de cours?

Des collègues professeurs de l’Université Laval ont remis à l’ordre du jour médiatique, le 1er février dernier, la crainte des universitaires face à la perte progressive des libertés académiques dans les institutions d’enseignement supérieur.

La lettre, signée par plus de 450 professeures, chargées de cours et étudiants, dénonce la « managérialisation » des cégeps et des universités, qui porterait atteinte à la collégialité et aux libertés historiques dont jouissent les chercheurs et les acteurs des universités, celles notamment de critiquer … l’ordre établi, de faire valoir tous les points de vue critiques de la recherche et sur la société, de s’exprimer librement sur les institutions du savoir, de critiquer ouvertement des « partenariats » pouvant être nuisibles, de participer de manière collégiale aux décisions qui sont prises par les départements et les universités.

Les questions sous-jacentes à ce débat sont importantes. Par exemple, les universités sont-elles des employeurs comme les autres? Des employeurs envers qui nous avons une obligation de loyauté et avec qui nous ne pouvons pas diverger d’opinions publiquement? Des employeurs qui peuvent unilatéralement décider ce qui est bon pour l’institution et imposer leur vision? Des employeurs qui peuvent congédier des professeurs ou des chargés de cours parce qu’ils ont émis une opinion contraire ou ont fait connaître un enjeu délicat mais important pour la société?

Assurément, non. Mais si la réponse semble simple, la réalité elle, est beaucoup plus complexe.

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Le dernier conseil fédéral de la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec (FNEEQ-CSN) a mis le doigt sur ce sujet sensible.

En invitant Richard Perron, le président du syndicat qui défend Louis Robert, agronome congédié par son ministère parce qu’il a parlé à des journalises d’un enjeu de santé en voulant protéger l’intérêt du public (mais qui allait à l’encontre de la directive de son employeur), la table était mise pour aborder frontalement la question du devoir de loyauté. Quel est le devoir véritable du chercheur lorsque des conséquences néfastes sur la santé publique sont en jeu?

Le témoignage de la docteure Marie-Ève Maillé, une « précaire universitaire » chargée de cours à l’UQAM, a révélé également toute la fragilité de ces libertés pour les étudiants et les chargées de cours. Docteure en communication, Mme Maillé est tristement célèbre en raison de la bataille juridique qu’elle a dû mener pour défendre la confidentialité de ses données de recherche, réclamées par une entreprise privée dans le cadre d’un recours collectif.

Sa lutte, c’est la lutte d’une ancienne étudiante de doctorat de l’UQAM, sans affiliation institutionnelle « officielle », qui a dû longtemps se défendre seule contre Goliath car son université a refusé de la soutenir (l’UQAM a finalement fait volte-face après les pressions médiatiques. Source : Marie-Ève Maillé (2018), « L’affaire Maillé », éditions écosociété).

Pourquoi ces revendications – de liberté d’expression, d’opinion, d’enseignement – sont-elles particulièrement difficiles à porter pour les chargées et chargés de cours?

Parce qu’en raison de leur statut précaire, irrégulier et intermittent (on les emploie lorsque la charge de travail des professeures est remplie), les chargées et chargés de cours sont fortement soumis, de manière insidieuse, à la logique de domination.

Inscrits dans une relation de dépendance (le contrat suivant n’est pas assuré), cette condition fragilise la participation au débat public et au débat interne. La liberté de parole se heurte alors à la crainte de représailles, dont la perte du contrat. Par ailleurs, en raison d’une présence souvent sporadique dans les départements, la collégialité est également difficile à faire valoir, alors que bien des chargés de cours ne sont pas considérés comme des « vrais » membres à part entière de l’Université ou de l’unité.

D’un point de vue juridique, notre convention collective rappelle pourtant certaines de ces libertés, dont je relève ici deux passages :

« Tout en respectant le principe de la liberté d’opinion, tout chargé de cours bénéficie des libertés de conscience et d’enseignement inhérentes à une institution universitaire à caractère public telle que l’Université » (Art. 4.01)

« Dans le respect des programmes et des responsabilités des directions d’unités, le chargé de cours bénéficie de l’autonomie intellectuelle dans le choix des stratégies pédagogiques et des activités d’apprentissage à privilégier dans la formation des étudiants » (Art. 4.01).

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Pour terminer, je vous laisse sur cette partie de la proposition qui sera débattue lors du prochain conseil fédéral :

(Que la FNEEQ…)

Réitère que les enseignantes et les enseignants ont droit :

                          à la liberté d’enseignement, notamment à l’égard du contenu à enseigner et aux méthodes pédagogiques à privilégier;

                         à la liberté de recherche et de création, notamment à l’égard de son indépendance et de la protection des sources;

                        à la liberté d’expression au sujet de leur établissement d’enseignement ou de tout autre sujet;

                      Dénonce les invocations abusives du devoir de loyauté par les employeurs;

Syndicalement,

Christine Gauthier
Présidente

 

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