L’avenir des enseignantes et enseignants contractuels dans les universités : trois risques et deux opportunités

À l’initiative de nos collègues chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal, plusieurs acteurs du syndicalisme universitaire et professeures spécialisées sur les enjeux de la précarité du travail ont discuté des défis d’intégration durable du personnel contractuel dans l’enseignement universitaire dans le cadre d’un colloque de l’ACFAS.

Invitée au panel visant à réfléchir à « la place des enseignantes et enseignants contractuels dans l’université de l’avenir », il m’a semblé important de mettre de l’avant trois questions : Quels sont les changements majeurs anticipés dans l’organisation du travail d’enseignement universitaire? Ces changements peuvent-ils avoir des impacts sur le renforcement des « dominations » et de mises de côté des personnes chargées de cours? Au regard de certaines transformations anticipées, quels sont les principaux risques pour les personnes chargées de cours et quelles sont les opportunités ?

Des risques

Trois risques majeurs peuvent être identifiés pour les personnes chargées de cours au regard de transformations possibles de l’organisation du travail.

Le premier est celui de l’automatisation de la tâche d’enseignement et d’accompagnement des étudiantes et étudiants avec la montée en force de l’intelligence artificielle en éducation. Selon le Conseil supérieur de l’éducation (« L’intelligence artificielle en éducation: un aperçu des possibilités et des enjeux, 2020 »), quatre impacts de l’IA sont observés dans notre secteur, dont certains, comme les systèmes tutoriels intelligents et les systèmes d’évaluation automatique, peuvent avoir des répercussions directes sur notre travail d’accompagnement.

Le deuxième risque est celui de la taylorisation de l’enseignement et son corollaire, l’atteinte à l’autonomie professionnelle. Il faut être prudent face à l’introduction de nouvelles pratiques enseignantes susceptibles de modifier les rapports de pouvoir et d’introduire plusieurs négociations entre les corps enseignants. Il faut aussi, absolument, éviter un glissement qui mènerait à réduire le travail enseignant en « petites séquences » (de type approche LEAN) ou à des rapports inégaux entre personnes chargées de cours et professeures.

Le troisième risque est lié au développement de la formation à distance. En fait, ce sont surtout les manières de concevoir et d’organiser le travail de l’enseignement à distance qui pourraient être susceptibles de poser problème. Pour s’assurer que la FAD ne mène pas à une fragmentation et à une déqualification du travail enseignant universitaire, il faut éviter que des contenus de cours soient « fixés » pour plusieurs années, que les cours fassent l’impasse sur la taille des groupes, où encore que la grande majorité du travail d’accompagnement des personnes étudiantes soit transférée à des ressources d’aide à l’enseignement et des correcteurs moins qualifiés. L’erreur à éviter, pour l’université de demain, est de s’inscrire dans le registre du « trop » : trop de FAD, trop d’isolement, trop peu du soutien des pairs et du collectif de travail; trop désert le campus sans étudiantes et étudiants.

Des opportunités

Mais malgré ces scénarios-catastrophes, se trouvent aussi des opportunités.

La première opportunité est celle d’une plus grande stabilisation de l’emploi. À l’Université Laval, la part des personnes chargées de cours « structurelles », i.e. qui ont pour activité principale l’enseignement universitaire, tend à croître. Que l’on soit personnes chargées d’enseignement avec des contrats annualisés reconductibles, ou à forfait avec une part importante de nos activités professionnelles centrées en enseignement, il devient difficile d’ignorer ce corps d’emploi qualifié et de ne pas mieux reconnaître celles et ceux qui sont actuellement dédiés à l’enseignement universitaire.

La deuxième opportunité est à saisir dans les réflexions et ouvertures soulevées dans le cadre du Chantier sur l’université québécoise du futur. Le rapport indique vouloir « stabiliser les ressources financières pour réduire la dépendance à des revenus externes, (…) en considérant l’apport des personnes chargées de cours à l’activité universitaire ». C’est une avancée « théorique » importante visant à stabiliser les finances de l’éducation et, par le fait même, stabiliser les personnes chargées de cours. Cependant, il faudra rappeler le Ministère à l’ordre si on veut que cette recommandation #1 du rapport devienne réalité.

Le rapport mentionne aussi vouloir « élargir les fonds de recherche et la reconnaissance de la recherche dans la tâche des professeur.e.s de collège » (bien sûr, ça doit aussi s’appliquer aux personnes chargées de cours) et, un peu plus loin dans les recommandations, « inclure tous les groupes d’emploi dans cette culture d’innovation (dans les universités) et miser sur la collégialité».

Voilà. Un grand bassin « d’innovantes et d’innovants » prêtes à continuer le travail de recherche, si on leur en donne vraiment les moyens et si on stabilise leurs conditions d’emploi. Pour l’avenir, la voie de la stabilisation est assurément beaucoup plus porteuse pour les universités et pour les personnes que celle de la fragmentation du travail, susceptible d’occasionner une perte de sens et de qualité de l’enseignement. Quel avenir voulons-nous?

Solidairement,

Christine Gauthier
Présidente

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