L’Université Laval (UL) clame haut et fort être l’une des institutions les plus avant-gardistes en matière de développement durable (DD) au Canada, sinon dans le monde. Au plan des comparaisons institutionnelles, elle fait effectivement bonne figure selon un ensemble de critères reconnus : l’UL est une institution carboneutre ; elle a également reçu l’accréditation STARS, la situant 1re au classement canadien et 9e dans le monde. Il est intéressant, toutefois, de remarquer que ces critères relèvent d’une vision somme toute sélective du DD et qui met l’accent sur les critères environnementaux objectifs d’abord, délaissant d’autres aspects pourtant essentiels à la notion de DD. Dans le contexte québécois, où le DD est surtout associé à une forme d’environnementalisme, l’UL peut ainsi faire bonne figure auprès du public.
En matière environnementale, l’institution a mis sur pied un bon nombre de pratiques intéressantes : recyclage, compostage, valorisation du transport actif, création d’espaces pour les jardins communautaires etc. et, tout récemment, une entente avec une entreprise d’autopartage. Dans le contexte où le campus se veut être un milieu de vie pour des milliers de personnes, ces initiatives à caractère écologique participent de divers changements de comportement, sinon parfois de mentalité. Compte tenu de la difficulté que représente la mise sur pied d’un enseignement transgressif, nous devons accepter que des actions posées dans le tissu physique du milieu, plutôt que dans les classes, demeurent l’option la plus raisonnable. L’ensemble de ces mesures écologiques est mise en place par les différents services et unités de l’Université, en référence à un Plan d’action triennal avalisé par le Vice-rectorat au développement.
Il existe aussi d’autres outils institutionnels attribuables au DD à l’UL. L’un d’eux est le Fonds DD, dont la finalité est de financer des projets mettant en lien l’Université et la communauté dans une perspective de développement durable. Le fonds s’élève à 400 000 $ par année et est accessible à tout membre de la communauté universitaire pour des projets s’inscrivant dans une perspective de DD et liant l’Université à la communauté. Ainsi, l’Université a aussi réussi, dans une certaine mesure, à se décloisonner en favorisant les projets de stage dans la communauté et la participation de ses membres à la société en général. Les financements relevant du fonds sont facilement accessibles aux membres de la communauté universitaire pour mener des projets (la bureaucratie est véritablement moins lourde, ce qui est étonnant). Mais ici commence à poindre un aspect pernicieux de la politique de DD. Bien que le fonds soit un outil intéressant, il semble que l’aspect socioéconomique du développement durable n’aille pas beaucoup plus loin que l’incitatif à inclure dans ses projets universitaires des acteurs du milieu hors campus. À cela nous pourrions ajouter que ce fonds et la nécessité de trouver des partenaires extérieurs peuvent mener à une dissémination des budgets vers des entreprises ou des partenaires, hôtes de stages. Il en ressort que la stratégie DD de l’Université Laval, en matière de financement de projet, laisse déjà apparaitre un biais important, même dans le contexte du micro-financement. En effet, le DD, dans sa version socioéconomique, n’inclut pas de mesures de durabilité de l’emploi sur le campus.
La véritable critique doit donc être orientée vers le traitement interne que l’Université Laval réserve à certains de ses propres membres. En effet, malgré les vœux pieux de bonne conscience environnementale et de participation sociale, l’institution n’a pas su inclure dans sa stratégie de développement durable un principe par lequel elle pourrait renverser la tendance actuelle de contractualisation de la main d’œuvre en milieu universitaire. En ce sens, le principe du développement durable ne peut guère être considéré comme respecté.
Comme mentionnée précédemment, la vision adoptée au Québec du DD associe celui-ci à la promotion des saines habitudes de vie à caractère environnemental. C’est là oublier que la notion de DD implique, au même rang et depuis son élaboration, la notion de développement humain et d’économie des besoins. Or, avec la hausse du travail contractuel au sein des universités québécoises, c’est exactement cet aspect du DD (pour lequel nous faisions bonne figure), qui en prend « pour son rhume ». Les différents plans d’action en matière de DD ne mentionnent même pas cette problématique, elle serait donc inexistante aux yeux des administrateurs. La bureaucratie pourra toujours répondre que le problème est complexe, que personne ne peut réellement y avoir une prise. Compte tenu des défis logistiques que l’UL est en mesure de relever pour opérationnaliser ses politiques de DD, ce genre d’argumentaire parait peu convaincant. La pérennité des emplois ainsi que leur qualité ne sont pas un domaine métaphysique, elles peuvent faire l’objet de politiques internes définies, de démarches auprès des unités et de promotion importante. Or, ces outils de valorisation de l’emploi stable n’apparaissent nulle part dans la planification DD.
Au plan de la collégialité, on ne peut pas affirmer que les objectifs DD remettent en question la distance qui tend à se créer entre les contractuels et le personnel permanent d’enseignement et de recherche. Dans le meilleur des cas, des contractuels siégeront sur des comités DD, mais la reconnaissance de cette participation n’est nullement assurée car elle devra faire l’objet, au préalable, d’une négociation avec le responsable d’unité. De manière encore plus troublante, l’organisme phare de la promotion du DD à l’UL, le prestigieux Institut EDS (Environnement, Développement et Société, financé par Hydro Québec), n’autorise pas encore les chargés et chargées de cours ni les chargés et chargées d’enseignement à en devenir membres. En somme, Le plan d’action DD s’adresse uniquement à une certaine catégorie d’employés.
En finale, il est regrettable que les politiques, les plans d’action et les différents projets relevant du DD à l’UL n’apparaissent pas pour la haute direction, sinon pour certaines unités, comme une porte ouverte sur des changements institutionnels touchant la sphère de l’emploi. De même, il est étrange de constater que pour affronter les mutations profondes que subissent les institutions universitaires à l’heure actuelle, l’UL hésite toujours à recourir à l’une de ses ressources clé, les chargés et chargées de cours, en assurant pour eux des conditions de travail qui leur permettront de participer pleinement à la vie universitaire.
Louis-Étienne Pigeon, chargé de cours à la Faculté de philosophie