« Compte-rendu d’ateliers sur la financiarisation et la marchandisation présentés au Forum social mondial (FSM) de Montréal (11 et 12 aout 2016) », par Jean-Sébastien Morin

Préambule

J’ai été fortement sensibilisé depuis quelques années aux enjeux de la mondialisation, et du néolibéralisme, son fer de lance. Ces deux phénomènes ont des effets très délétères sur la société civile et sur les travailleurs, dont ils attaquent sans cesse les bases et l’équilibre fonctionnel.

Si arrêter leur propagation semble parfois impossible, je crois au contraire qu’on peut y arriver par une meilleure compréhension du système économique actuel (la dimension financière) et du discours néolibéral (argumentaire du développement nécessaire et positif de la marchandisation). C’est ce profond désir de démonter la mécanique complexe et très efficace du néolibéralisme pour savoir mieux se soustraire à son influence qui m’a attiré au FSM.

1er atelier : The Financialization of Everything (La financiarisation de tout)
(Darcy O’Callaghan, Nick Dearden, Geneviève Azam et Judith Delleim)

La financiarisation est à la fois une façon de traiter le réel, c’est-à-dire ce qui existe, et de l’enfermer dans une logique financière, et le processus pour y arriver et qui consiste à introduire dans un domaine ou secteur social particulier un discours et des pratiques visant à traiter certains objets qui lui sont propres comme marchandises, sans aucun égard à leur nature.

La financiarisation ne survient pas du jour au lendemain mais suit un processus constitué de quatre étapes :

  1. marchandisation : marchandiser, c’est chercher à transformer un objet, très souvent naturel et vital (ex. : l’eau), en marchandise, donc en bien échangeable, en cherchant à lui attribuer une valeur économique ou financière;
  2. privatisation : ensuite on tente « d’enfermer » cette valeur, en se l’appropriant (par de petits groupes), pour la rendre rare et créer des conditions d’échange et de valorisation de la marchandise;
  3. création d’un marché véritable : il s’agit de créer une structure réglementée pour faciliter et assurer l’échange de la marchandise et l’entrée en jeu d’acteurs financiers de toutes sortes;
  4. financiarisation comme telle : on généralise les produits et pratiques financières aux nouveaux secteurs créés et aux personnes voulant y transiger (endettement et spéculation).

Chaque étape du processus constitue un enjeu pour le sens même des choses. Ce processus n’est pas innocent ni sans conséquence : le marché change la façon même de voir le monde, et l’endettement crée des classes de gens qui possèdent et contrôlent, et d’autres qui subissent.

Quelle est donc finalement la portée du titre même de cet atelier, « La financiarisation de tout »? On peut dire que ce n’est pas du tout une affirmation exagérée. Des exemples du « progrès » de la financiarisation :

– la volonté dans plusieurs pays, dont les États-Unis (certains états étant pour, d’autres contre), de créer un marché de l’eau et donc une ouverture à la spéculation sur une denrée vitale;

– l’endettement croissant du secteur manufacturier, de plus en plus enclin à financer ses activités et projets au lieu d’attendre d’en avoir les moyens : des économistes allemands ont démontré que l’augmentation du prix de bon nombre de produits courants depuis vingt ans est due entre 50 et 80 %  à des couts financiers;

– l’accès à la propriété : les ménages sont de plus en plus endettés, le cout de l’immobilier a plus que doublé en vingt ans à cause de l’impact de la spéculation et de l’endettement successif.

Conclusions : critiques de la financiarisation et contre-arguments

La financiarisation a des effets secondaires négatifs majeurs. On ne les connait pas toujours assez clairement, bien que ce soit de puissants arguments à diffuser et sur lesquels faire réfléchir les gens. Voici quelques-uns des plus intéressants :

la perte de contrôle : pour les gens ordinaires, la financiarisation implique de ne pas ou ne plus avoir de contrôle sur les décisions concernant, entre autres, mais pas uniquement, les denrées et les secteurs essentiels d’une société (ex. l’eau);

la perte de transparence : une autre conséquence majeure venant du fonctionnement même de l’entreprise privée et de sa culture du secret qui y est fréquente et qui rend peu probable toute divulgation volontaire d’information, même quand elle serait d’intérêt public;

la redirection des taxes vers les plus petits salariés, et ce, à l’avantage des plus riches, qui en payent de moins en moins (parce qu’ils ont toute une panoplie de moyens d’exemption fiscale ou d’évasion fiscale à leur disposition) alors que les dépenses gouvernementales doivent continuer à être payées et le sont donc de plus en plus par les autres contribuables);

l’efficacité des entreprises privées ou privatisées qui se révèle moindre, à l’usage, que celle de l’entreprise publique et des services gouvernementaux pour traiter, dans plusieurs domaines, de services et produits de base (par exemple le génie des routes et les gros ouvrages d’infrastructure où l’action des entreprises privées s’est souvent avérée désastreuse;

la planification du développement d’une ressource laissée au marché : celui-ci est loin d’être un bon mécanisme pour ce genre de planification, puisque les décisions y sont souvent prises pour des raisons de pure spéculation;

la perte de démocratie, donc du pouvoir de décision ou d’orientation, sur des enjeux collectifs laissés aux mains de petits groupes privés aux intérêts rarement sociaux.

2ème atelier : Désarmer la finance (F. Durand-Paris XVI, D. Plihon, Attac-France, C. Vaillancourt-Attac-Québec)

L’ensemble de cet atelier porte sur un aspect particulier, mais majeur, de la financiarisation abordée dans l’atelier précédent : la dette publique. Le constat est une emprise de plus en plus massive de la finance sur le fonctionnement de l’État.

Depuis les années 1980 à aujourd’hui, il y a une baisse constante du revenu ou du produit national brut (PNB). Or la dette publique, elle, n’a cessé d’augmenter. En 1975, la dette publique représentait 150 % du PNB, en 2010, elle représentait 380 %.

Les solutions – entre autres proposées par des économistes non-orthodoxes – sont de :

-forcer (par le pouvoir législatif) des moratoires sur certaines dettes;

-mettre fin à certains produits financiers uniquement spéculatifs (ex. : hedge funds);

-mettre en place un contrôle social des banques par des personnes de la société civile;

– obliger à créer et à favoriser l’avènement de banques publiques d’investissement (pas sous contrôle privé et opaque);

-interdire la « tritisation »: processus mis en place par les banques pour vendre leurs dettes à des tiers spécialisés et donc se déresponsabiliser totalement;

-réintroduire un contrôle des capitaux, pour affaiblir le rapport de force en faveur du capital international;

– taxer les produits financiers.

Conclusion :

L’emprise de la finance est partout et très profonde dans nos vies, car l’habitude de l’endettement s’est beaucoup développée au niveau tant personnel que public. Par contre, c’est plutôt le discours néolibéral ambiant qui constitue le plus grand obstacle parce qu’on a fait croire aux gens que l’on ne peut et ne doit pas agir dans le secteur financier. Les gouvernements s’empêchent donc eux-mêmes souvent d’agir.

La série de moyens de contre-contrôle et de redressement énumérée ici par les économistes non-orthodoxes représente tout à la fois un ensemble de solutions efficaces et nécessaires et une affirmation que le pouvoir démocratique peut reprendre les choses en mains. Il faut faire un pied de nez à la nouvelle orthodoxie selon laquelle il faut, devant la finance, plier l’échine et payer.

Conférence « La dette publique », de Dominique Plihon, Attac-France

Essentiellement, ce fut une reprise des arguments et des fausses vérités répandues sur la dette publique.

On y a, entre autre, pris en exemple la dette publique du Québec, du Chili et de la Grèce. Un effort a été fait pour démontrer la perfidie des créanciers internationaux qui exigent des taux usuraires à des pays qui sont déjà surtaxés, et qui, au moindre défaut de paiement, vont augmenter leurs taux d’intérêt.

Cela incite les pays les plus endettés à réemprunter, mais à des taux toujours plus élevés, et ce, non pas pour relancer leur économie et justement faire face plus efficacement à leurs dettes, mais pour payer les augmentations de dettes antérieures, d’où un cercle vicieux insoluble, à moins de faire faux bond et de réécrire les règles du jeu.

3ème atelier : Réponse à la privatisation et à la marchandisation de l’éducation
(Nico Hirtt, Alec Larose, Éric Martin et Angela Gavrialatos)

On assiste de plus en plus à une multiplication de faux frais à tous les niveaux de l’enseignement public et, en même temps, au désinvestissement des gouvernements dans les réseaux publics.

On cite le cas de plusieurs pays en voie de développement (Afrique, Amérique latine) où l’école privée et payante a tendance à être favorisée par les gouvernements au détriment de l’école publique et gratuite. Ainsi certaines multinationales développent des écoles privées, mais avec des cours et des programmes devant uniquement servir leur besoin de combler leurs postes.

Le cas de Haïti est discuté car la tendance, là-bas, est de préparer une main-d’œuvre dédiée à de petits métiers, peu exigeants en formation, et rendant les étudiants facilement « exportables » vers les pays riches (États-Unis, Canada) eux-mêmes peu pourvus en main d’œuvre de base.

En synthèse, marchandisation dans l’éducation veut dire :

-privatisation de services;
-compétition inter-établissement
-mobilisation à tout prix des enseignants dans la promotion;
-accaparement des décisions de gouvernance des institutions par des gens d’affaires;
-discours néolibéral à toutes les sauces.

4ème atelier : L’utilisation de plus en plus répandue de la monnaie locale (plusieurs conférenciers)

Les monnaies locales sont de plus en plus répandues à travers le monde et notamment en France. L’exemple le plus connu est le « bitcoin ».

Il s’agit essentiellement de monnaies de remplacement utilisées sur des territoires restreints de municipalités ou de régions et ayant cours légal tout en étant « nanties », c’est-à-dire appuyées sur la monnaie officielle nationale. Cela représente donc une sorte de dédoublement de la monnaie courante.

Pourquoi?

L’objectif est de « relocaliser » l’économie entre les mains des gens et l’orienter vers des pratiques plus solidaires et écologiques. On veut renverser le paradigme économique dominant voulant que ce soit la richesse qui crée le travail (les riches créent les emplois, bien entendu à leur gré, et peuvent donc tout aussi bien les abolir). Avec la monnaie locale, c’est le travail des gens qui crée la richesse et celle-ci, à cause justement de la dimension « locale » de la monnaie utilisée, reste dans la communauté.

Conclusion

L’utilisation des monnaies locales permet de faire en sorte que ce soit les gens qui orientent leur économie sur place et selon leur volonté. De plus, la monnaie locale permet de prêter aux résidents sans intérêts, ce qui n’est pas sans importance! On cherche en priorité à éviter l’emprise de la « pieuvre » de la finance qui s’exprime, entre autre, par une totale absence de sens humain et de responsabilisation sociale.

Un certain nombre d’initiatives de ce type existent au Québec, notamment à Montréal et à Québec.

Grande conclusion

Mon intérêt pour la compréhension des mécanismes actifs, que ce soit de la financiarisation et de la marchandisation que du discours servant à justifier leur propagation dans le tissu social et dans nos vies, a été très éclairé par la compréhension des moyens et des approches généralement utilisés. Mais l’enseignement le plus important pour moi demeure la découverte de plusieurs pratiques alternatives très efficaces et le fait d’affirmer et de diffuser une pensée économique et financière alternative mature et totalement affranchie des diktats de la finance traditionnelle et internationale. À suivre…

Jean-Sébastien Morin, chargé de cours au Département de management, Faculté des sciences de l’administration et à la Formation continue.

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