Teresa Kramarz et Kourosh Houshmand. « Les incubateurs universitaires : … » Affaires universitaires, 5 février 2017.

Les universités de tous les horizons se désignent comme des lieux où les étudiants peuvent être intrépides et audacieux, où ils peuvent aspirer à changer le monde. Une fois diplômés, les étudiants font leur entrée dans un monde dynamique où la créativité, la résilience et la volonté d’agir sont de mise pour contrer le changement climatique, circonscrire les pandémies, éradiquer la pauvreté et empêcher les conflits violents.

Toutefois, le principal indicateur de réussite scolaire à l’université demeure l’obtention d’une moyenne pondérée cumulative élevée. Les professeurs, les écoles d’études supérieures et les gestionnaires responsables de l’embauche s’appuient sur ce critère pour évaluer la qualité générale des candidats. Vu l’ampleur des enjeux, on ne peut blâmer les étudiants de croire que l’audace ne leur apportera rien dans l’immédiat.

Il existe un écart troublant entre nos objectifs pédagogiques et les récompenses structurelles de l’université. Les étudiants craignent d’avoir des notes plus faibles s’ils prennent des risques dans le cadre d’un devoir. Ils hésitent à suivre des cours hors de leur discipline principale par crainte qu’ils soient trop exigeants et fassent baisser leur moyenne. Un tel contexte provoque une aversion au risque plutôt que de favoriser l’audace et l’intrépidité. Nous devons trouver des moyens de mieux harmoniser les objectifs que nous souhaitons atteindre dans l’enseignement et les résultats qui sont obtenus.

Au cours des cinq dernières années, des universités d’un peu partout en Amérique du Nord ont créé des incubateurs conçus pour faciliter la mise en œuvre de projets novateurs et porteurs de changement. Ils offrent aux étudiants des espaces physiques favorisant la collaboration, qui s’accompagnent souvent de mentorat par des professeurs d’administration des affaires et de réseaux stratégiques avec des partenaires de l’industrie. Il s’agit d’un pas en avant, mais ces incubateurs visent surtout à aider les étudiants à commercialiser leurs idées. L’indicateur de réussite est la commercialisation d’un produit.

Si nous examinons les fondements théoriques des incubateurs, nous constatons que leurs objectifs sont en fait beaucoup plus larges et qu’ils vont dans le sens des visées pédagogiques des universités : créer du savoir en collaboration, faciliter l’expérimentation, surveiller les progrès et établir des liens avec un milieu d’action élargi. Et si nous imaginions l’incubation autrement, comme une forme de pédagogie qui met l’accent sur un processus d’enseignement et d’apprentissage plutôt que comme une course à la commercialisation où l’on mise sur les idées qui se traduiront par le succès commercial de produits?

Dans le cadre du programme Munk One de l’Université de Toronto, nous avons mis cette idée en application. Dans les classes, les laboratoires et les cours d’été, les étudiants de première année au premier cycle sont mis au défi de résoudre des problèmes mondiaux tenaces comme les conditions de travail contraires à l’éthique dans l’industrie de la mode au Bangladesh, le mauvais traitement des migrants qui travaillent dans la construction au Qatar ou le syndrome de stress post-traumatique dans les camps de réfugiés syriens.

Ici, l’incubation permet d’acquérir un état d’esprit axé sur l’interaction avec le monde. Les étudiants déterminent comment les problèmes mondiaux sont structurés et imbriqués. Ils découvrent que les solutions novatrices découlent souvent de combinaisons d’idées existantes et que, pour résoudre un problème, il faut tenir compte des différentes perspectives, rythmes de progression et préférences des acteurs du système mondial.

Les étudiants créent des initiatives, des applications, des organismes à but non lucratif et des entreprises en démarrage. Natalie Boychuk, ancienne participante au programme Munk One, a fondé une entreprise de « vêtements éthiques » appelée Clari-tee. Elle n’avait jamais imaginé devenir entrepreneure, surtout pendant sa deuxième année d’études au premier cycle universitaire. Toutefois, elle a constaté que l’entrepreneuriat n’est pas qu’un travail, mais bien une mentalité. Contrairement à un incubateur ordinaire, nous n’avons pas d’abord parié sur la réussite de son projet.

Nous misons en premier lieu sur le développement personnel des étudiants et non sur le succès commercial de leurs solutions. Les résultats d’apprentissage les plus importants que nous visons sont l’audace de s’attaquer à des problèmes décourageants et une méthodologie pour la prise de décisions. Ces atouts ont aidé nos étudiants à percevoir différemment leurs études au premier cycle et à imaginer ce qu’ils peuvent faire pour transformer le monde. Toutefois, il est difficile de les traduire dans une moyenne pondérée cumulative illustrant la réussite.

À bien des égards, l’incubation est devenue un cliché – et ce n’est pas le seul du genre. « Innovation », « idéation » et « itération » illustrent aussi la prolifération des mots à la mode dans le domaine. Cependant, nous voyons une occasion de donner un nouveau souffle et un contenu enrichi aux incubateurs universitaires de plus en plus nombreux. Même si beaucoup d’entre eux ont tenté de favoriser l’application de nouvelles initiatives pour traiter des problèmes sociaux ou commerciaux, l’intégration avec les programmes d’études et les objectifs d’apprentissage généraux reste insuffisante.

Mettons l’incubation à profit pour élargir les horizons des étudiants au lieu de miser sur les projets prometteurs. Les incubateurs traditionnels s’entêtent à vouloir financer des idées gagnantes, sans considérer le processus lui-même comme une pratique pédagogique efficace. Les établissements d’enseignement demeurent pertinents précisément parce qu’ils ont le luxe, sinon le mandat, d’investir dans l’épanouissement des étudiants plutôt que dans leurs entreprises.

Teresa Kramarz est directrice de Munk One, un programme d’affaires internationales offert aux étudiants de première année à l’Université de Toronto. Kourosh Houshmand est étudiant et membre du conseil d’administration de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto.

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