Avec la publication de son 3e budget, le ministre des Finances se félicite d’avoir remis la « maison » des finances de l’État en ordre. En atteignant l’équilibre budgétaire, Carlos Leitão poursuit dans la lignée indiquée par le premier ministre lors du remaniement ministériel d’il y a quelques semaines. Il passe sous silence les conséquences des deux dernières années d’austérité en insistant sur des investissements insuffisants pour compenser les coupes de 4 G$ qu’ont subi les différents services publics depuis 2014. Pourtant, avec une augmentation des revenus du gouvernement de 2,7 % contre un accroissement des dépenses de 2,4 %, il aurait été possible de réinvestir dans les services de manière significative. Voyons ce qu’a plutôt choisi de faire le gouvernement.
Des surplus cachés
Le gouvernement se targue de présenter un budget équilibré. Il serait même dans une nouvelle phase de déploiement visant le développement économique. Il est vrai que ce gouvernement enclenche une nouvelle phase budgétaire. Pour cette année et celles qui suivront, des surplus budgétaires sont dissimulés dans le budget donnant l’impression que le gouvernement n’a pas vraiment de marge de manœuvre. Ce n’est pas une nouvelle réalité : depuis des années, une partie des surplus ou des déficits se retrouve dans la case comptable «Fonds des générations». Pourquoi ces surplus sont-ils cachés? Tout simplement parce qu’en affectant ainsi, à l’avance, son surplus, le gouvernement évite tout débat sur son utilisation. Ces fonds sont attribués, ils ne sont plus disponibles. Merci, bonsoir. Juste pour 2016-2017, c’est 2 G$ qui sont investis dans ce fonds et cette somme atteindra 2,5 G$ l’an prochain. En procédant ainsi, le gouvernement a beau jeu : il se présente comme un gestionnaire responsable de la dette tout en coupant l’herbe sous le pied de ceux et celles qui désirent un réinvestissement dans les services. Pourtant, même sans le Fonds des générations, le ratio dette-PIB est déjà à la baisse. Autant dire qu’investir dans le Fonds relève d’abord du choix idéologique.
Cette année, c’est donc un surplus de 2 G$ qui est à la disposition du ministre des Finances. Et il s’est privé de 476 M$ supplémentaire pour alléger le fardeau fiscal des entreprises et des particuliers. Il ne fait que nous donner l’illusion qu’il n’a pas le choix de maintenir ses politiques rigides.
Aide fiscale aux entreprises : buffet ouvert
Le «retour» à l’équilibre budgétaire de cette année est présenté avec le «Plan économique du Québec». Sur quoi se base ce plan économique? Sur deux stratégies. La première est de compenser les salaires trop bas offerts par le marché du travail pour plusieurs travailleurs et travailleuses. La seconde est de croire à la pensée magique voulant qu’une baisse d’impôt va générer de l’investissement privé.
Le gouvernement nous présente une baisse d’impôt pour les particuliers. C’est vrai qu’il y a l’abolition partielle de la taxe santé, mais la raison pour justifier la majorité de ces baisses est d’offrir plus de revenu pour les gens qui travaillent à bas salaire : augmentation du taux de la prime au travail, diminution de l’âge (passant de 63 ans à 62) donnant droit au crédit d’impôt pour les travailleurs d’expérience, bonification du bouclier fiscal. En d’autres termes, la majorité des baisses d’impôt pour les particuliers vise à palier aux problèmes liés au marché du travail. Ils offrent ainsi près de 310 millions sur 5 ans pour compenser le fait que ce marché offre trop souvent de trop bas salaires pour vivre convenablement.
De plus, avec ce budget, le gouvernement annonce une pléthore de mesures fiscales allégeant le fardeau des entreprises, réduisant ainsi les revenus de l’État sur 5 ans de 3,6 G$. Encore ici, l’État utilise ses ressources pour compenser la frilosité des entreprises quand vient le temps d’investir. Il y a dans ces mesures une réduction de l’impôt sur le profit des PME ainsi que plusieurs crédits d’impôt et déductions fiscales. À ceci s’ajoute la victoire partielle d’un combat du monde des affaires, à savoir la réduction de leur collaboration à l’assiette des revenus de l’État par la diminution de leur contribution au Fonds des services de santé (FSS). Juste cette mesure représente 385 M$ annuellement.
Les conséquences de l’austérité : structure de restriction permanente
Au mieux, les « réinvestissements » annoncés dans le budget vont couvrir les coûts de systèmes. Par exemple, l’augmentation de 3 % des fonds en éducation couvriront, plus ou moins, l’évolution de ces coûts. Cependant, l’ajout de 500 M$ sur 3 ans ne compensera pas les coupes de 675 M$ survenues depuis 2014. Le résultat de l’austérité sera donc de créer un déséquilibre permanent entre les ressources et les besoins en éducation.
En santé, la situation est pire. L’augmentation de 2,4 % est loin d’être suffisante pour combler les besoins de la population. En fait, pour 2016-2017, c’est 540 M$ qui manquent pour seulement couvrir les besoins du réseau. À cela s’ajoutent les 963 M$ en compressions dans la santé et les services sociaux depuis deux ans.
Que fait le gouvernement, face à ce manque à gagner? Il annonce un investissement de 80 M$. À ce stade, autant dire qu’il ne fait rien. Sauf bien entendu faciliter les chirurgies d’un jour au privé.
La vielle économie, encore
Dans les différents documents budgétaires, le ministre des Finances avance qu’il faut désormais miser sur l’innovation et l’économie du savoir. Pour y arriver, comme nous l’avons vu, le budget mise essentiellement sur un allègement de la contribution fiscale des entreprises. Un lieu d’investissement que ne manque pas d’occuper le gouvernement avec des sommes concrètes et non seulement des cadeaux fiscaux est celui de la vielle économie : 450 M$ pour la Société du Plan Nord, bonification du crédit d’impôt relatif aux ressources naturelles, 230 M$ pour le secteur forestier, 10 M$ pour la stratégie maritime, 539 M$ en rabais tarifaire d’électricité pour les entreprises manufacturières, etc.
Nous touchons là, comme avec les politiques fiscales, au cœur de la transformation austéritaire de l’État : le gouvernement dépense, il dépense beaucoup, seulement il dépense dans le soutien au secteur privé. Aussi, des sommes importantes sont investies dans des projets qui, bien que présentés comme centraux et structurants par le gouvernement, n’ont toujours pas porté fruit. Ainsi, tant le Plan Nord que la stratégie maritime, au-delà des slogans, demeurent au mieux des stratégies industrielles dignes du siècle dernier qui enferment le Québec dans son rôle de pourvoyeur en ressources naturelles.
Il n’est pas surprenant alors que le plan économique du PLQ, qui à la base devait créer 250 000 emplois en 4 ans, ne pourra atteindre sa cible. Malgré toutes ces mesures, l’investissement privé fait du surplace. En gros, malgré les cadeaux fiscaux et les plans pour attirer les investisseurs, rien ne bouge.
Confondre soutien individuel et solidarité
Dans ce budget, des sommes pour le moins marginales sont prévues pour, selon les termes du document budgétaire, soutenir les personnes et les collectivités. Concrètement, pour 2016-2017, il est question d’investissement qui atteindront un maigre 27,5 M$, dont la principale dépense est liée à la diminution de 50 % de la contribution additionnelle à l’égard du 2e enfant en service de garde (16,1 M$). En clair, les parents qui ont un deuxième enfant pourront économiser la moitié de la contribution additionnelle qui fut instaurée avec la modulation des tarifs des services de garde. Comme cette modulation était, à la base, une mauvaise idée, on peut d’abord se réjouir d’une telle mesure. Cependant, l’impact sur les finances familiales variera grandement en fonction du revenu de chacun. Ainsi, une famille avec un revenu total de 160 000 $ pourra économiser 1 156 $ contre seulement 64 $ pour une famille avec des revenus de 75 000 $. Il s’agit donc d’une mesure ciblée, qui ne règle rien au cafouillage tarifaire instauré par le gouvernement et qui, en plus, favorise davantage les familles à plus hauts revenus.
Les autres mesures sont risibles : 3 M$ pour la stratégie gouvernementale sur l’égalité entre les femmes et les hommes, 1,9 M$ pour la prévention de la violence sexuelle, 2,4 M$ pour les milieux autochtones et 0,1 M$ (oui oui : un gros 100 000 $) pour les banques alimentaires. Pendant ce temps, le gouvernement prévoit, avec la loi 70, pénaliser les gens à l’aide sociale pour économiser 50 M$. Encore ici, ce budget est loin de rétablir quoi que ce soit.