Au suivant! L’éducation est-elle une priorité pour le gouvernement québécois?

Nous publions exceptionnellement dans cette rubrique un communiqué rédigé par deux professeures (Université Laval et Université de Montréal) ayant travaillé sur les politiques gouvernementales en éducation. Toutes deux s’interrogent sur la valeur de l’éducation pour le gouvernement actuel…

Au suivant! L’éducation est-elle une priorité pour le gouvernement québécois?

Pour monsieur Couillard, l’éducation est une priorité, entendait-on lundi soir à RDI. Avec quatre ministres en moins de quatre ans, on pourrait en douter. Le dernier en liste, un avocat, qui n’est pas issu du milieu de l’éducation, cumule deux ministères bien qu’il ne soit pas un ministre sénior et, fait remarquable, est un homme dans un domaine où les femmes sont largement majoritaires. Ah, oui, il ne faut pas l’oublier, il est le père de jeunes enfants… À la défense de l’actuel premier ministre, on peut dire que ce ministère est le lieu par excellence de la chaise musicale : 29 ministres depuis 1964 (en 52 ans), soit environ un tous les deux ans et neuf au cours des dix dernières années. Révélateur!

Nous qui étudions les politiques éducatives de ce ministère depuis 30 ans, particulièrement en ce qui a trait aux programmes d’études du primaire et du secondaire, et plus spécifiquement à l’enseignement du français (discipline prétendument importante, car socle de l’acquisition des savoirs et de la construction de l’identité personnelle et sociale), nous n’avons vu que trois ministres qui ont pris le temps de réfléchir au sens de l’éducation dans notre société et qui ont proposé des politiques conséquentes. Triste bilan.

Au cours des vingt dernières années, nous avons accepté deux contrats du ministère de l’Éducation, l’un, en 1994, pour la rédaction de diverses parties du programme d’études du français au secondaire, et l’autre, en 2011, pour la production d’un document prescriptif relatif à la planification de l’enseignement des contenus du programme de français. Dans les deux cas, notre entente avec le Ministère a été bafouée par ce dernier, en dépit du strict bon sens et en contradiction avec la plus élémentaire rigueur scientifique. Dans le second cas, il s’agissait de demandes de corrections du document, acceptées par les fonctionnaires en poste, mais jamais rendues publiques par le Ministère auprès des personnes concernées (enseignants de français, conseillers pédagogiques et éditeurs scolaires). Lors de la publication du programme de français du primaire lié au « renouveau pédagogique », en 2001, Le Devoir a publié à la une le 29 aout le texte signé par Suzanne-G. Chartrand coiffé du titre « Un chapitre rempli d’erreurs et d’approximations ». Quinze ans plus tard, ce programme est encore en vigueur et n’a toujours pas été corrigé. Incompétence, dites-vous?

À partir de notre expérience et de nos observations, notamment dans le domaine de l’évaluation, nous en sommes venues à la conclusion que le Ministère (peu importe son nom – passons sur l’association avec les loisirs et le sport… – et le titulaire du portefeuille) n’a tellement aucun souci à produire des documents valides sur les plans scientifique et pédagogique qu’il permet à n’importe qui de prendre des décisions sur les programmes comme sur les manuels accrédités par lui-même. Il est, comme d’autres ministères, sans doute, le terrain du copinage, de l’esbroufe et de la soumission aux idéologies du jour qui ont peu à voir avec la recherche de la qualité de l’éducation, laquelle devrait pourtant être une des priorités d’un gouvernement dans une société dite démocratique.

Suzanne-G. Chartrand,
didacticienne du français, professeure titulaire associée à l’Université Laval

Marie-Christine Paret, professeure honoraire de l’Université de Montréal.

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