Par où commencer… Une définition, peut-être, mais qui ne sera jamais exhaustive… ou plusieurs, pour se donner une idée de quoi on parle.
On s’est livrées à cet exercice récemment, moi comme membre du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval avec Melanie Pelletier, vice-présidente responsable du Comité de la condition féminine du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches–CSN, sous l’égide d’extraordinaires militantes de nombreux groupes de défense et d’aide pour les femmes, dont l’inénarrable Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale que je vous invite à découvrir, si ce n’est déjà fait.
On a parlé de cycle de violence, de terreur, de coercition, et inutile de vous dire qu’on s’est au moins entendues rapidement sur le fait qu’une femme qui se fait assassiner, c’est pas du tout une fatalité ou le résultat d’une perte de contrôle: les signes avant-coureurs pleuvent, donc on doit le prévenir.
Car la maison est un lieu dangereux pour de très nombreuses femmes. Une menace de tous les instants de côtoyer leur agresseur. Et quand elles parlent de partir, monsieur devient encore plus violent… jusqu’à, trop souvent, commettre l’irréversible.
« Les auteurs de ces crimes sont le plus souvent des partenaires ou ex-partenaires, et ils échappent souvent à l’obligation de rendre des comptes en raison de l’absence d’enquêtes appropriées » – Nations unies.
C’est que, contrairement à ce qu’on voit dans les films d’Halloween, où des tueurs en série psychopathes déchiquètent filles et garçons pour le plaisir, dans la vraie vie, la majorité des filles et des femmes qui sont assassinées perdent la vie aux mains d’hommes – très majoritairement – qui prétendaient, ou avaient pour rôle dans leur quotidien de… les aimer.
Des hommes comme vous en côtoyez tous les jours. Des hommes qui n’ont aucun attribut apparent nous signalant qu’ils s’apprêtent à commettre l’irréparable.
Pourtant, quand on fouille après-coup, c’est-à-dire quand la victime a succombé à leur dernier assaut, on découvre souvent que ces hommes avaient des antécédents judiciaires, notamment pour violence conjugale.
Mais nous sommes des universitaires, on aime ça les définitions, alors allons-y pour quelques définitions en vrac du mot FÉMINICIDE/FÉMICIDE :
- « Meurtre d’une femme ou d’une jeune fille, en raison de son appartenance au sexe féminin. » – LAROUSSE
- « Féminicide
Le féminicide désigne l’assassinat ou le meurtre d’une femme simplement parce qu’elle est une femme, mais peut aussi faire référence à toute mort donnée à une femme ou une fille. Le féminicide diffère toutefois de l’homicide, car c’est un crime perpétré dans des circonstances spécifiques. En effet, la plupart des cas de féminicide sont commis par des partenaires ou des ex-partenaires et sont le résultat de longs abus commis au sein du foyer, de menaces ou d’agissements intimidants, de violences sexuelles ou de situations où les femmes ont moins de pouvoir ou de ressources que leur conjoint ou ex-conjoint. » – Nations Unies.
- « Meurtre d’une femme au simple motif qu’elle est une femme, quel que soit son âge et quel que soit le contexte. Ainsi, le terme féminicidedésigne le meurtre d’une femme, d’une jeune fille ou d’une enfant en raison de son sexe. De plus, même si les féminicides impliquent une haine envers les femmes, le terme féminicide désigne le meurtre comme tel. » – Conseil du statut de la femme
- « Le fémicide, qui désigne les meurtres de femmes et de filles liés au sexe ou au genre, est reconnu comme la forme la plus extrême de violence dans un continuum de violence masculine et de discrimination à l’égard des femmes et des filles. Toutefois, les discussions se poursuivent au niveau mondial sur la définition du fémicide, sur les raisons pour lesquelles il se distingue des autres homicides et sur la manière dont ces différences peuvent être mesurées afin de mieux identifier les meurtres de femmes et de filles liés au sexe ou au genre.
Ces questions sont cruciales pour au moins trois raisons :
- Produire et comprendre efficacement les statistiques sur les fémicides dans et entre les pays, y compris les diminutions et les augmentations de cette forme de violence ;
- Déterminer des initiatives de prévention et d’intervention plus efficaces ainsi que des sanctions appropriées pour les délinquants ; et,
- Sensibiliser et améliorer l’éducation du public et des professionnels, notamment en contribuant à l’élaboration d’une formation plus poussée pour les personnes qui interviennent dans les cas de violence liée au sexe ou au genre à l’encontre des femmes et des filles et/ou en déterminant des sanctions appropriées pour ces crimes. » – L’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation
Ainsi, si la définition de féminicide inclut la sphère conjugale, elle la dépasse aussi. On énumère en effet comme tragiques exemples les crimes d’honneur et fœticides de filles, comme les féminicides politiques, ou des États tuent délibérément certaines femmes en raison de leur activisme social ou politique.
Bref, on nous tue pour plein de raisons, toutes sordides, et trop souvent aussi banales que le refus d’avoir des rapports sexuels sur demande, de cuisiner telle recette, de porter tel vêtement plutôt qu’un autre, d’entretenir son réseau social, et j’en passe.
Mais nous sommes des universitaires, on aime ça les statistiques, donc allons-y pour quelques-unes en vrac :
- Une fille ou une femme est assassinée toutes les 11 minutes dans le monde.
…
Mais ici, c’est pas si pire que ça au Québec – me répliqueront certaines personnes.
Se comparer à pire, c’est se déresponsabiliser, se contenter du statu quo. Et nos gouvernements excellent dans l’inertie, ce qui accroît les risques de féminicides.
Oui, les féminicides augmentent au Québec. Les femmes, soumises à l’inflation, à la crise du logement, aux carences du système judiciaire et au manque de ressources des organismes communautaires meurent en plus grand nombre, et toutes les mesures et réformes et lois promues ces dernières années par le gouvernement sont, au mieux insuffisantes, au pire nuisibles.
Résultat?
- Cette année, au Québec, le 10 octobre, on en est déjà à 21 femmes assassinées pour l’année 2024.
Ça fait combien d’enfants orphelins, ça?
Et celles qui sont toujours vivantes, mais luttent pour le rester, elles sont combien?
- Cette année, l’organisme SOS violence conjugale a rapporté qu’une femme sur deux – 1 sur 2! -, au moment où elle a demandé de l’aide, s’est fait répondre qu’il n’y avait malheureusement plus de place pour elle… Une sur deux. C’est gigantesque.
- Au total, ce sont 76 femmes, en quatre années seulement, qui ont été violentées jusqu’à en perdre la vie, ici, chez nous.
Et de tous les âges.
De toutes les classes sociales.
De toutes les professions.
De toutes les régions.
De toutes les origines… c’est pas l’apanage des autres cultures, le féminicide :
« Le féminicide est devenu une épidémie mondiale car les États manquent à leur devoir de protéger les victimes de la violence de genre, a alerté lundi un expert indépendant des Nations Unies, relevant que “chaque année, des dizaines de milliers de filles et de femmes, y compris des femmes transgenres, sont tuées dans le monde en raison de leur sexe”. » – Nations Unies, 23 octobre 2023
C’est aussi notre Québec, ça.
Faque, en ce jeudi 10 octobre 2024, comme trop de jeudis depuis un bout, j’ai rejoint les groupes de femmes pour dénoncer les féminicides.
Aujourd’hui, on était devant l’Assemblée nationale.
On a parlé.
On a scandé.
On a hurlé.
Die in avec fleurs pis tout le kit.
C’était émouvant. Violent aussi, de rendre hommage aux 21 femmes victimes de féminicides juste cette année. De s’allonger sur le sol, comme elles l’ont fait pour la dernière fois malgré elles. Et en solidarité avec plein d’autres groupes partout au Québec.
Mais qui était là pour nous écouter?
Quelques députés.
Un ou deux médias.
…
Je vous passe donc le mot : chaque jeudi qui suit un féminicide, on se rassemble, en non-mixité inclusive, des femmes de toutes provenances, pour dénoncer.
Si y a un autre jeudi, vous serez les bienvenues.
Sororité.
Élisabeth Cyr
Vice-présidente à la vie syndicale et à la mobilisation