Cette année, le 8 mars revêt un caractère bien particulier pour les femmes. Depuis un an, des dizaines, voire des centaines de milliers d’entre elles se retrouvent au front pour endiguer la crise sanitaire qui secoue la planète entière et pour poursuivre la mission fondamentale d’éducation de la population, allant des enfants aux jeunes adultes. Au même moment, un grand nombre de Québécoises subissent les contrecoups d’une précarité grandissante en raison du ralentissement de certains secteurs économiques. Les hommes et les femmes ne sont pas égaux face aux crises. Et celle-ci n’y fait pas exception.
Pourtant, c’est bien connu, les femmes jouent un rôle de premier plan en période de crise. La pandémie a amené sur le devant de la scène des métiers cruciaux où elles sont surreprésentées (personnel soignant, éducatrices, enseignantes, personnel de soutien, secrétaires, caissières, vendeuses, etc.). Les femmes nous soignent et sauvent des vies. Elles éduquent et instruisent nos enfants, s’occupent des jeunes, aident les aîné-es et les plus vulnérables et soutiennent, dans l’ombre, plusieurs secteurs. On les croise au comptoir des épiceries et des pharmacies où elles nous donnent accès à des biens essentiels. Dans les hôtels et les restaurants où elles accueillent et servent la clientèle avec professionnalisme. Très présentes dans la culture et en loisirs, elles adoucissent les coins arides de nos existences. Les femmes sont aussi aux premières loges de la grande campagne de vaccination qui nous permettra enfin de sortir du confinement.
Or, selon des données récentes de l’Institut de la statistique du Québec, les femmes et les jeunes de 15 à 24 ans sont parmi les personnes les plus touchées par la perte nette de 208 500 emplois en 2020 au Québec. Un rapport de l’Observatoire québécois des inégalités et de l’Association pour la santé publique du Québec soulignait en décembre que les femmes avaient perdu deux fois plus leur emploi que les hommes.
Mais pourquoi donc le gouvernement s’obstine-t-il à leur tenir tête dans la négociation actuelle avec les travailleuses et les travailleurs du secteur public, alors qu’elles désertent de plus en plus ces métiers et professions ? Même s’il est bien connu que les femmes tiennent à bout de bras les services publics à la population du Québec, les négociations avec le Conseil du trésor piétinent. Le gouvernement fait la sourde oreille face à leurs revendications, alors que la société québécoise leur doit une fière chandelle. Certains salarié-es du secteur public ne parviennent même pas à vivre décemment. Rappelons que la proposition du gouvernement consiste en une augmentation de 5 % sur trois ans. La CSN demande plutôt des augmentations salariales de 2 $ l’heure en 2020 et de 0,75 $ l’heure ou de 2,2 % (selon ce qui est le plus avantageux pour la travailleuse ou le travailleur) en 2021 et en 2022. Nous sommes également en demande pour contrer la surcharge de travail et la précarité dont souffrent les employé-es du secteur public, qui méritent pleinement cette reconnaissance. Mais le gouvernement s’entête et ne leur laisse d’autre choix que de hausser le ton. Des assemblées générales se tiennent actuellement à la grandeur du Québec pour discuter de l’intensification des moyens de pression en tenant compte de la situation sanitaire et de la planification d’une grève à exercer au moment jugé opportun. Bien entendu, si nous obtenons ces mandats, nous consulterons à nouveau les syndicats sur le mandat de grève comme tel.
Le gouvernement ne fait pas uniquement preuve de mépris à l’endroit des travailleuses du secteur public. En effet, pourquoi ne permet-il pas aux personnes situées au bas de l’échelle salariale, en majorité des femmes qui travaillent souvent dans le privé, de gravir quelques échelons en élevant substantiellement le salaire minimum ? L’augmentation prévue cette année le portera à 13,50 $ l’heure à compter du 1er mai. Ce salaire ne parviendra jamais à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes et à sortir les bas salarié-es de la pauvreté. La CAQ ne devrait pas mépriser et négliger ces emplois, qui sont plus que nécessaires au bon roulement de l’économie.
François Legault agit en flagorneur en encensant les femmes sans vouloir reconnaître la valeur de leur travail. La réforme sur la santé et la sécurité du travail proposée par le ministre Boulet suscite d’ailleurs beaucoup d’inquiétude chez elles, notamment sur la reconnaissance des véritables niveaux de risque dans ce milieu. S’il est ouvert à nos préoccupations, il faut qu’il apporte des amendements en ce sens au projet de loi 59. Sinon, que fera le premier ministre lorsqu’elles auront délaissé les services publics, épuisées par le dur labeur et par le manque à gagner criant sur le plan des conditions de travail et de la santé-sécurité ?
Trouver du personnel : un casse-tête
Il n’y a pas si longtemps encore, la pénurie de main-d’œuvre était sur toutes les lèvres. Faute de personnel, des restaurants et des épiceries demeuraient fermés certains soirs ou le dimanche. Le roulement de personnel à des hauteurs vertigineuses dans des résidences privées pour aîné-es donnait lieu — et c’est encore le cas — à des situations aberrantes, comme des préposées à l’entretien qui se voient contraintes d’aller servir les repas à l’heure des lunchs… L’indécence des salaires payés par les employeurs dans ces résidences y est certainement pour quelque chose.
Une fois la crise traversée, le problème de pénurie de main-d’œuvre demeurera entier. François Legault persistera-t-il dans son inaction ? C’est ce même Legault qui, en 2012, prônait l’importance d’augmenter les salaires en enseignement pour attirer plus d’hommes dans la profession et twittait que « les filles attachent moins d’importance au salaire que les garçons. » Par son inertie, il fait la démonstration que sa pensée est demeurée la même et qu’il n’y a aucune nécessité de reconnaître concrètement le travail accompli par les femmes. C’est sans objet pour lui.
Alors que la crise sanitaire continue sa course, le premier ministre du Québec a déjà annoncé son intention de revenir à l’équilibre budgétaire dans cinq ans. La plupart des observateurs s’entendent pour dire que cet objectif ne pourra s’accomplir sans coupes importantes dans les services publics. Il est indéniable que les femmes auront permis à la société québécoise de traverser la pandémie. Et que gagneront-elles en prime pour leur dévouement ? Un aller simple vers l’austérité, qui leur est toujours préjudiciable. Dans toute cette histoire, elles seront encore dupées, comme elles le sont depuis trop longtemps. À quand un changement de cap vers une vie meilleure pour elles, M. Legault ?
Caroline Senneville
Vice-présidente de la CSN
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Caroline Senneville est une ancienne enseignante et militante du Cégep Limoilou pour son syndicat où elle a occupé plusieurs rôles, dont celui de présidente. Elle a également œuvré sous différentes fonctions pour la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ–CSN). Fervente militante féministe, elle s’est impliquée pendant de nombreuses années au comité confédéral de la condition féminine et à la Fédération des femmes du Québec. Enfin, depuis 2017, elle est vice-présidente de la CSN.