Le 13 mars 2020, au moment où le premier ministre François Legault annonçait la fermeture, à la grandeur de la province, des garderies, des écoles, des collèges et des universités, nous ignorions à quel point nos vies professionnelles et personnelles allaient être fortement et durablement altérées. Aujourd’hui, rien n’est plus pareil : de la banale promenade dans les rues du quartier à la planification minutieuse des vacances, il faut désormais composer avec de nouvelles règles édictées à heure de grande écoute. Notre routine se conjugue avec la couleur des zones, avec les interdits et les consignes, avec le couvre-feu, la distanciation et avec tout le reste.
Le thème de la Journée internationale des droits des femmes cette année ne pourrait être mieux choisi : « Écoutons les femmes ». On sait pertinemment que, depuis un an, elles ont subi les contrecoups de la crise sanitaire plus durement que les hommes, et ce, dans toutes les sphères : mortalité, santé psychologique, emploi, sécurité économique, violence conjugale, conciliation famille-travail[1]. Si les données montrent sans conteste que la pandémie a contribué à l’augmentation des inégalités entre les hommes et les femmes au Québec, l’isolement qui nous afflige depuis de nombreux mois semble insidieusement étouffer la détresse vécue par les femmes, la reléguer au second plan et même la banaliser. C’est pourquoi, en ce 8 mars, il faut donner la parole aux femmes et il faut impérativement les écouter.
À titre de présidente de la FNEEQ, j’ai vécu la crise à petite distance du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et j’ai surtout ressenti ses profondes répercussions chez les membres de notre fédération qui appartiennent à tous les ordres d’enseignement. Il a fallu (et il faut encore) se battre et s’imposer sur toutes les tribunes pour que la voix des enseignantes et des enseignants soit entendue et surtout considérée, alors que des consignes sont conçues et imposées sans tenir compte de notre réalité.
Dans les universités comme dans les cégeps, la bascule vers l’enseignement en mode non présentiel s’est opérée du jour au lendemain, par décret ministériel en mars 2020, sans préparation ni organisation. L’adaptation des cours s’est faite en toute hâte, essentiellement en même temps que l’aménagement d’un lieu de travail « tranquille » dans un coin de la maison. La fermeture des garderies et des écoles jusqu’en mai a rendu la tâche extrêmement lourde et difficile pour les jeunes familles, et particulièrement pour les femmes qui assument encore une plus grande part des tâches domestiques et des responsabilités liées aux soins et à l’éducation des enfants[2]. À ce moment, la FNEEQ a demandé de manière insistante et répétée l’inscription des enseignantes et des enseignants en enseignement supérieur (qui était pourtant considéré comme un service essentiel par le gouvernement) sur la liste prioritaire des travailleuses et des travailleurs ayant droit aux services de garde d’urgence. Peine perdue, le gouvernement a complètement ignoré ces revendications légitimes, manifestant par le fait même une attitude méprisante à l’égard du milieu des études postsecondaires.
Dans le réseau universitaire, j’ai constaté que les personnes chargées de cours ont été particulièrement touchées par les conséquences négatives de la pandémie : la précarité qui caractérise leur emploi a été exacerbée par la confusion et l’incertitude des directives émises autant par le gouvernement que les directions universitaires. L’adaptation à un nouvel environnement pédagogique et la transformation des cours ont entraîné une surcharge évidente qui a affecté leur santé psychologique. Dans ce contexte, l’absence de reconnaissance de ce travail supplémentaire est particulièrement choquante.
On peut dire que ces temps nouveaux manquent cruellement d’humanité. Il faut s’inquiéter de l’augmentation continue des tensions, de l’intolérance et de la violence dans la société en général, dans les réseaux sociaux, mais aussi dans nos établissements d’enseignement supérieur. Chaque semaine, on nous rapporte des événements offensants, des plaintes, des campagnes de dénigrement sur Internet contre des enseignantes et enseignants. Or, fait troublant, les récentes controverses portant sur la liberté académique se sont déroulées en majorité dans des classes où enseignent des femmes. Le traitement médiatique de ces événements n’est certainement pas neutre, il contribue à maintenir la polarisation et à nourrir les tensions.
Plus que jamais, nous avons besoin de solidarité, de bienveillance et d’indulgence pour combattre les effets néfastes de la pandémie dans notre milieu, en particulier la solitude qui affecte tant de nos collègues. En ce 8 mars, écoutons les femmes et continuons à les écouter tous les jours de l’année.
Caroline Quesnel
Présidente de la FNEEQ
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Caroline Quesnel est présidente des instances fédérales, coordonnatrice du travail des trois regroupements, responsable du comité fédéral sur les assurances et les régimes de retraite (CFARR) ainsi que responsable du comité femmes de la FNEEQ. Elle est également enseignante de littérature au Collège Jean-de-Brébeuf.
[1] À cet égard, il faut lire le rapport conjoint de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et de l’Observatoire québécois des inégalités (OQI) qui souligne les différents impacts de la pandémie sur les Québécoises et qui propose une série de recommandations au gouvernement pour soutenir les plus vulnérables. Thomas Bastien, Anne-Marie Morel et Sandy Torres, Inégalités de genre : impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé et la qualité de vie des femmes au Québec, novembre 2020.
[2] Voir les résultats de l’Enquête sociale générale menée par Statistiques Canada : Patricia Houle, Martin Turcotte et Michael Wendt, Évolution de la participation des parents aux tâches domestiques et aux soins des enfants de 1986 à 2015, juin 2017.