La ministre Hélène David a évoqué le 25 août dernier, dans un article publié dans Le Soleil, que c’est en raison de la « mondialisation de l’enseignement supérieur » que les universités du Québec doivent développer – de toute urgence – une offre de cours en ligne. Il faut s’adapter à la compétitivité internationale et travailler à mettre sur pied un campus numérique à l’échelle du Québec pour demeurer attractif. Le campus béton n’est plus à la mode auprès des jeunes ni pour la « clientèle » internationale. Exit le vivre ensemble pour apprendre, se former, s’éduquer.
Ces orientations gouvernementales sont particulièrement claires : l’éducation supérieure est vue comme une marchandise comme une autre. Une marchandise que l’on peut vendre par ordinateur au temps du numérique. Où les choix faits par les universités sont guidés au premier plan par la rentabilité et la présence sur les palmarès internationaux. Et lorsqu’il s’agit des palmarès (et des critères quantitatifs et monétaires qui les sous-tendent), les aspects qualitatif, humain et relationnel comptent souvent bien peu.
Devant une telle perspective pour l’avenir, on peut se demander ce que veut encore dire « éduquer »?
Alors que nous vivons une période trouble au plan social, où le racisme gagne du terrain et que les insultes fusent de toute part dans nos nouveaux « lieux sociaux » que sont Facebook, Twitter et les espaces virtuels dans les médias, force est de constater qu’il est de plus en plus difficile de vivre ensemble. Avec et malgré nos différences.
À l’ère du chacun pour soi et du chacun son opinion, la place de l’éducation au sein de nos sociétés n’a pourtant jamais semblé aussi importante. L’Éducation avec un grand E, du sociologue Durkheim, celle de la socialisation à vivre ensemble, à respecter les autres.
Une éducation qui ne pourra pas se faire chacun devant son ordinateur, avec toutes les inhibitions libérées par les nouveaux masques du virtuel. Où des étudiants et étudiantes qui collaborent pendant toute une session dans le cadre d’un cours à distance ne se reconnaissent même pas dans l’autobus lorsqu’ils s’y croisent.
L’université a toujours été au cœur du progrès social. Cette institution existe car elle a un rôle social à jouer, celle d’abord de former des citoyens responsables et engagés dans leur communauté. Pour réussir sa mission fondamentale, l’université de demain devra orienter ses actions de façon à construire un espace collectif réel – et non virtuel. Elle devra être proche des gens et favoriser la construction de liens sociaux et de solidarités intergénérationnelles et interculturelles. Elle devra aussi valoriser tous les champs de connaissances et transcender le cloisonnement en disciplines pour que l’on commence à appliquer ce dont on parle depuis trop longtemps : le pluri, l’inter et le transdisciplinaire.
L’université numérique, cloisonnée par disciplines et orientée sur le travailleur efficace, n’apportera pas de solution à nos problèmes sociaux. Elle risque même de les exacerber. L’éducation, entendue au sens collectif, permet de construire l’humanité et non un monde virtuel auto-suffisant, où chacun se renferme sur lui-même devant son écran. L’université doit retrouver ses lettres de noblesse et redevenir ce lieu collectif de rencontres, d’échange, de décisions, de remise en question qu’elle a déjà (toujours) été.
Christine Gauthier
Présidente